L’illusion de la compensation carbone par les arbres

Ecologie Une

Mécanisme de prédilection des grands groupes pollueurs pour atteindre la neutralité carbone, le reboisement se heurte à des limites économiques face à l’ampleur grandissante des émissions de CO2, selon une nouvelle étude.

« Le moyen le plus efficace aujourd’hui d’éliminer le carbone, pour moins de dix dollars la tonne, c’est la reforestation ». Cette déclaration de Patrick Pouyanné, PDG de TotalEnergies, rapportée par Le Monde en 2020, illustre l’opportunisme de l’industrie énergétique face à une méthode à la fois peu accessible et non régulée.

La pression de l’opinion publique s’intensifie sur ces entreprises dont les énergies fossiles constituent le cœur de métier, les poussant à réduire leur empreinte carbone. En conséquence, les projets de plantation d’arbres se multiplient, principalement dans les pays en développement au couvert végétal favorable.

Du Kenya au Mozambique en passant par la Colombie ou la Côte d’Ivoire, ces initiatives prolifèrent sans que leurs promoteurs s’interrogent sur leur viabilité à long terme. C’est précisément cette question qu’a explorée une étude publiée le 19 juin dans la revue Communications Earth & Environment.

Dirigée par Nina L. Friggens, Patrick Njeukam et Alain Naef, cette recherche remet en cause les idées reçues sur la compensation de carbone, en particulier la plantation d’arbres, la moins coûteuse des solutions déployées par les entreprises.

La réalité économique des promesses vertes

Il ressort du rapport que si les 200 principales entreprises pétrogazières devaient adopter cette méthode – pour laquelle la tonne de carbone est estimée à 16 dollars, contre 83 dollars pour l’achat de crédits carbone et 1 000 dollars pour la capture directe dans l’atmosphère –, 64% d’entre elles auraient une « valorisation environnementale nette » négative.

Autrement dit, leur valeur serait inférieure au coût de leurs projets de compensation. Avec l’achat de crédits carbone, ce pourcentage grimpe à 95%. Saudi Aramco, la plus grande compagnie pétrolière mondiale valorisée à 2,2 billions de dollars, verrait sa valeur chuter à 482,9 milliards (soit une division par quatre) en cas de compensation par reforestation.

Avec les crédits carbone européens, sa valorisation deviendrait négative (-6,6 billions de dollars). Avec la capture directe, elle atteindrait -103,9 billions de dollars, dépassant le PIB mondial.

Les limites écologiques de la reforestation massive

Au-delà des coûts, l’étude souligne des obstacles écologiques majeurs. En effet, les arbres nécessitent une température, une humidité, des nutriments et un environnement racinaire appropriés, ainsi que l’absence de conditions climatiques ou de sols défavorables.

La reforestation augmente l’évapotranspiration par rapport aux prairies, pouvant entraîner une baisse des nappes phréatiques et une réduction des débits des cours d’eau. La reforestation pour la séquestration carbone pourrait représenter un risque pour la sécurité alimentaire en réduisant les terres disponibles pour l’agriculture.

L’étude conclut qu’il est économiquement moins cher d’arrêter d’extraire les combustibles fossiles que de les brûler et de les compenser plus tard lorsque le coût social du carbone est pris en compte.


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