Malgré des avancées en apparence encourageante sur l’emploi des femmes, l’Inde dissimule de lourdes disparités de genre qui persisteront encore pendant des décennies.
Selon une enquête Reuters menée auprès d’économistes et d’experts politiques et publiée le 22 juillet dernier, l’Inde devra patienter au moins deux décennies avant que la participation de ses femmes à la population active n’atteigne les standards des autres pays du G20.
Le taux de participation des femmes indiennes à la population active (TPFPA) s’élève à 31,7% selon la dernière Enquête périodique sur la population active (EPPA) de 2023-24. Bien que ce taux ait progressé par rapport aux 27,8% précédents, il demeure très inférieur à la moyenne du G20 qui avoisine les 50%.
L’Inde occupe ainsi la dernière place de ce classement, derrière l’Arabie Saoudite et la Turquie, et se situe même en dessous de ses voisins directs comme le Bangladesh et le Bhoutan.
L’objectif gouvernemental d’atteindre 70% d’ici 2047 paraît, dans ces conditions, particulièrement ambitieux, pour dire le moins. C’est dire que la hausse de quatre points enregistrée d’une année à l’autre ne fait que grossir les traits d’une réalité bien moins reluisante.
De l’emploi ou de la précarité ?
« Le type de travail auquel participent les femmes n’est pas vraiment ce qu’on appelle de bons emplois ou un travail de qualité. C’est vraiment juste au bas de l’échelle, de type survivaliste« , analyse Ashwini Deshpande, professeure et directrice du département d’économie à l’Université Ashoka, auprès de Reuters.
C’est dire que la nature même de cet emploi féminin est sujette à caution. Pour preuve, seules 15,9% des femmes actives occupent des postes salariés réguliers, avec contrats, rémunération stable et avantages sociaux, d’après l’agence de presse.
La majorité écrasante – 73,5% en zone rurale et plus de 40% en zone urbaine – évolue dans l’économie informelle, souvent contrainte par les circonstances plutôt que par choix.
« Idéalement, vous devriez voir les revenus des ménages augmenter également lorsque les femmes participent, et cela ne s’est pas produit, ce qui est un très gros marqueur que ce n’est potentiellement pas le meilleur type d’emploi« , abonde Rosa Abraham, professeure assistante à l’Université Azim Premji, toujours dans les colonnes de Reuters.
Le règne des obstacles systémiques
Selon l’enquête Reuters, plus de 70% des experts considèrent que les données officielles sur l’emploi masquent la réalité du sous-emploi et du chômage déguisé. Cette situation s’explique par un ensemble de barrières structurelles qui perpétuent l’exclusion des femmes du marché du travail formel.
Ces obstacles concernent notamment l’assignation des femmes aux tâches ménagères pendant près de cinq heures quotidiennes, soit plus de trois fois plus que les hommes. « Pour les femmes, l’âge productif et celui reproductif coïncident. Par conséquent, la garde d’enfants et le manque d’installations appropriées constituent une contrainte« , explique Sangeeta Shroff, ancienne professeure à l’Institut Gokhale de politique et d’économie, à Reuters.
Bina Agarwal, professeure d’économie du développement et d’environnement à l’Université de Manchester, insiste sur la nécessité de créer des « foyers sûrs pour les jeunes femmes dans les villes et petites villes, des transports sûrs vers le travail et l’application des lois sur le harcèlement sexuel au travail« .